Et si l’envoi de la liasse fiscale servait aussi au dépôt des comptes exigé par le code de commerce ? L’idée n’est pas nouvelle mais elle se développe. Elle figure dans le rapport destiné à simplifier la vie des entreprises remis hier à Bruno Le Maire. « Il existe certains cas particuliers de formalités inutilement dupliquées qu’il convient de faire cesser. L’obligation prévue par le code du commerce de déposer les comptes au greffe du tribunal en fait partie, avance ce document rédigé par cinq parlementaires. En effet, les mêmes informations sont transmises à l’administration fiscale (dans un format et dans un calendrier légèrement différent). De surcroît, les entreprises doivent s’acquitter d’un coût certes minime mais non justifié pour déposer les comptes au tribunal de commerce alors que le dépôt de la liasse fiscale est gratuit », diagnostiquent-ils. Pour ces parlementaires, « les dispositions législatives et réglementaires nécessaires doivent être prises pour faire cesser le double dépôt des comptes au greffe du tribunal de commerce, l’administration fiscale pouvant se charger de la transmission des informations sur option des entreprises ».
En pratique, une telle idée soulève plusieurs questions. On peut se demander dans quelle mesure cela serait compatible avec le principe de secret fiscal (à ce sujet voir notamment les articles 226-13 du code pénal et L103 du livre des procédures fiscales). Un principe qui fait toutefois l’objet de dérogations. L’une d’entre elles permet aux contribuables de prendre connaissance, auprès de la direction départementale des finances publiques dont ils relèvent, de certains renseignements sur les revenus et l’impôt sur le revenu d’autres contribuables (article L 111 du livre des procédures fiscales).
Autre question qui se pose, celle de la gestion des différences fiscalo-comptables dans ce contexte. Globalement, les informations exigées par le code de commerce pour les comptes annuels ne sont pas exactement les mêmes que celles exigées par l’administration fiscale pour la liasse — certaines informations sont demandées par le plan comptable général et pas par le droit fiscal, et inversement.
De plus, des différences spécifiques se manifestent pour certaines catégories d’entreprise (lire notre article). Ainsi, le code de commerce exempte en principe les micro-sociétés d’annexe (article L 123-16-1). Et dans certaines situations, il offre une option. Par exemple, les micro-sociétés peuvent en principe restreindre l’accès de leurs comptes annuels à certaines parties prenantes (article L 232-25).
Bref, à moins d’harmoniser les exigences prévues par le code de commerce et le droit fiscal sur ce sujet, il faudrait probablement effectuer un travail important, notamment au plan informatique, pour gérer ces deux approches via un seul dépôt. Un travail qui aurait un coût supporté par qui ? Autre question, celle du contrôle éventuel des options offertes à certaines entreprises. Est-ce que l’administration se chargerait par exemple de vérifier qu’une entreprise est considérée par le code de commerce comme une micro-société et donc qu’elle est dispensée d’annexe ?
Cette idée d’utiliser la liasse fiscale pour ne pas avoir à déposer les comptes avait été exprimée en 2021 par les auteurs du Vernimmen, un ouvrage sur la finance d’entreprise. Pascal Quiry et Yann Le Fur l’émettaient dans l’objectif principal de lutter contre l’opacité comptable illégale. Pour ce faire, ils proposaient de rendre publics les liasses fiscales des sociétés devant publier leurs comptes.
Cet aspect n’est pas un objectif du rapport parlementaire sur la simplification. Mais la question se pose de savoir si les liasses fiscales des sociétés devant publier leurs comptes seraient « automatiquement » rendues publiques (en tout cas pour les informations qui relèvent des comptes au sens du code de commerce). Il semble que non puisque le rapport parlementaire indique que l’administration fiscale pourrait se charger de la transmission des informations sur option des entreprises. On peut dès lors faire l’hypothèse que de nombreuses sociétés ne lèveront pas cette option car elles souhaitent camouffler leurs comptes annuels. Et ce en toute illégalité.